L'actu des Philosophes

L'ACTU DES PHILOSOPHES

jeudi 22 mars 2018

L'actu vue par les Philosophes : article de Gaspard Koenig sur le quotient familial





Quotient familial : ce qu'en dit Aristote

par Gaspard Koening


Les passions déclenchées cette semaine autour du quotient familial (et de sa possible abolition) dépassent largement la question financière. Elles reflètent le rôle central du "foyer" dans notre droit fiscal, qui lui-même s'inscrit dans la droite ligne de notre Code Civil, où la famille occupe une place prépondérante. remettre en cause le quotient familial, c'est en quelque sorte remettre en cause la famille comme socle de l'architecture sociale. Mais l'état n'est-il que le fruit de la grande réunion des familles, dont il devrait en retour assurer la protection et la perpétuation ?

C'est en tout cas la conception d'Aristote, qui a marqué toute la tradition philosophique. Au début de sa Politique, le philosophe grec analyse l'association politique comme l'évolution naturelle du couple au foyer (citant Hésiode : "la maison, puis la femme, et le boeuf laboureur"...), de la famille au village ("colonie naturelle de la famille"), et enfin de la réunion des villages à l'Etat (fin dernière). C'est donc notre propension première à l'union familiale qui donne son sens et sa dynamique à la Cité, seule capable de souveraineté véritable. Ceux qui prétendent échapper à ce processus, qui voudraient se suffire à eux-mêmes dans un splendide isolement, sont des brutes ou des dieux, des fous ou des saints; mais dès lors que l'on vient chercher le contact de ses semblables et que l'on accepte les règles du dialogue, on est irrésistiblement entraîné dans le jeu de poupée russe qui conduit l'époux au Souverain. Certes, l'Etat se trouvera au-dessus de la famille "car le tout l'emportera nécessairement sur la partie", et la famille ne saurait pleinement exister dans lui. Mais l'Etat doit se rappeler qu'il est avant tout l'émanation de familles librement constituées. Nul doute qu'Aristote aurait applaudi le quotient familial !

Cependant, le passage de la famille à la société est aussi un moment de rupture, dans la grande histoire des peuples comme dans la petite histoire des individus. Lorsque l'on quitte le foyer où prévaut la solidarité des membres, on entre soudain dans le grand bain des échanges, largement dominé par la recherche des intérêts personnels. De ce fait, la société apparaît moins comme le résultat de la fusion des familles que comme le moyen de leur dissolution, permettant l'émergence d'un individu conscient de lui-même. C'est tout l'argument de Hegel dans ses Principes de la Philosophie du Droit quand il décrit le passage de la famille à la société civile : la personne concrète devient "à soi-même une fin particulière comme ensemble de besoins", s'inscrivant par son travail dans une réalité sociale qui la dépasse mais dont elle tire une certaine indépendance. Alors que "l'unité sentie" de la famille transcendait l'individualité de ses membres pour former un tout organique. La société civile nous force à entretenir avec nos semblable des rapports d'extériorité. Nos égoïsmes s'enchaînent les uns aux autres par le biais du contrat. En ce sens, seule l'apparition de l'Etat permettra de reconstituer une unité, en passant cette fois par l'universel de la collectivité. L'Etat devient alors, par-delà la famille, la vérité de l'individu. C'est au nom de cette dialectique que Hegel, s'il siégeait aujourd'hui à la Commission des Affaires sociales, prônerait l'abolition du quotient familial, et par voie de conséquence l'individualisation de l'impôt sur le revenu ....


Gaspard Koening est philosophe et Directeur du groupe de réflexion "Génération libre".


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